Enfance maltraitée et garde monoparentale
Claude Bailly, décembre 2003
 

Résumé

Les meurtres d’enfant dans l'actualité récente et d’autres exemples d’enfants maltraités illustrent dramatiquement les dangers de la garde monoparentale. Les risques encourus par ces enfants se voient dans les statistiques de suicides, de violences et d’échecs scolaires. Privé de la protection d’un parent, l’enfant est plus fragile. Il subit aussi des violences directement liées à la résidence monoparentale après divorce : privation du lien affectif, atteinte à son identité et à son intégrité morale, aliénation parentale. La justice des divorces et séparations, par ses anomalies et ses disfonctionnements, contribue aux maltraitances d’enfant. Pourtant, il suffirait juste d’appliquer les principes de co-parentalité pour mieux protéger les enfants du divorce.

Les enfants victimes de violence

Octobre 2003, à Strasbourg, Dylan, 4 ans, meurt sous les coups de sa mère et de l’amant de sa mère, alors que le père est apparemment absent de sa vie d’enfant. A La Courneuve (Seine Saint-Denis), Cady, petite fille de 7 ans, est étranglée par sa mère séparée du père de Cady : Le père vit toujours dans leur pays d’origine alors que la mère a émigré en France avec Cady.

Les décès de Dylan et de Cady illustrent tragiquement la situation fragilisée des enfants placés en «garde» monoparentale et ils rappellent d’autres exemples parmi lesquels :

  • En 2000, à Quimper, une fillette de 6 ans meurt d’une overdose de méthadone. Sa mère toxicomane avait auparavant obtenu du Juge aux Affaires Familiales que le père soit écarté au profit d’une résidence exclusive de l’enfant chez elle. Le juge n’avait alors pas tenu compte des alertes du père sur la santé et la sécurité de sa fille.(1)
  • 2003, à Creil, les services sociaux et les experts psychiatriques décrivent les sévices psychologiques et la détresse de deux enfants. La justice les avait confié à leur seule mère. Cette dernière a soigneusement détruit tous leurs liens et références paternels : délit de non présentation d’enfants, fausses accusations de pédophilie, procédures judiciaires par dizaines.
  • Nicole, 40 ans, se souvient encore que sa mère l’a séparée complètement de son père à 6-7 ans, que sa mère l’a «gardé» et lui a «déclaré la guerre» parce qu’elle restait attachée à son père. Elle se souvient de ses tentatives de suicide, de ses échecs scolaires. Elle comprend, à 40 ans, que ses propres échecs conjugaux et sentimentaux et son incapacité à avoir des enfants sont liés à l’histoire de sa mère. (2)
A ces violences de la garde monoparentale, on peut aussi ajouter tous les drames directement provoqués par la séparation entre un parent et ses enfants tels que : 
  • deux enfants de 3 et 6 ans tués par leur père en instance de divorce le 25 août 2003 à Roquebrune sur Argens (Var), 
  • deux garçons de 2 et 7 ans tués à coup de couteau par leur mère pour que leur père ne les emmène pas le 9 octobre 1999 au Havre, 
  • trois enfants de 2, 5 et 6 ans tués par leur père quand leur mère le quitte définitivement à Nantes le 14 août 1998, 
  • une fille de deux ans noyée par sa mère le jour ou le juge lui retire la garde à Alberville le 3 janvier 1998 (3).

  • Deux millions d’enfants en situation de faiblesse

    Plus de deux millions d’enfants mineurs sont séparés d’au moins un parent et un million cinq cent mille ne voient que rarement ou plus jamais leur père. Les « vraies » familles monoparentales, c’est à dire ou un parent est décédé ou disparu, sont minoritaires. Les foyers monoparentaux sont provoqués à 80% par les divorces et les séparations (4).

    L’enfant est protégé par la cellule familiale. Il est fragilisé quand il perd le soutien quotidien de l’un de ses parents. Les risques de maltraitance sont amplifiés dans les situations de résidence monoparentale (5) après séparation des parents. On l’observe nettement par une plus forte proportion de drogue, d’alcool, de violence, de dépression et suicide parmi les enfants « monoparentés » par rapport aux enfants « biparentés ». Et cela reste vrai même dans les foyers « recomposés » entre un seul des deux parents et un nouveau conjoint (6). Même constat pour l’échec scolaire, bien plus fréquent chez les enfants de parents séparés (7). Il existe aussi des parents destructeurs ou psychogènes avec qui le maintien du contact présente un risque pour l’enfant. En dehors de ces cas extrêmes, l’absence d’un des parents, on le constate, est un facteur de risque pour l’enfant.
     

    Les dangers de la garde monoparentale

    La résidence monoparentale peut bien se passer ; par exemple lorsque le parent « gardien » est personnellement équilibré et apporte une éducation équilibrante, alors que le parent éloigné abandonne son enfant ou a des tendances destructrices. Il faut cependant être conscient des risques qu’elle fait courir à l’enfant.

    La séparation volontaire et non nécessaire d’avec son parent, la privation du lien parental affectif et éducatif est, en soit, une première maltraitance. A elle seule, elle peut expliquer les perturbations et le mal-être de l’enfant : L’enfant se construit psychiquement grâce à deux références d’adultes : identification à l’adulte référent de même sexe et complémentarité par rapport à l’adulte référent de l’autre sexe (8). La carence en soin et éducation soit maternel soit paternel a des conséquences négatives sur son développement normal. Plusieurs études comparatives d’enfants en situation monoparentale maternelle montrent des retards de développement par rapport aux enfants disposant de leurs deux parents, principalement sur les nourrissons et les jeunes enfants (9).

    Les dangers de la résidence monoparentale ont aussi, vraisemblablement, leurs sources dans plusieurs facteurs :

    1 Un parent se retrouvant, volontairement ou non, seul responsable au quotidien de son enfant, n’a plus ni repère ni contrôle venant de l’autre parent. Il subit aussi une charge éducative disproportionnée.
    2 L’enfant est utilisé comme otage dans le conflit du divorce ou post-divorce : il devient à la fois une arme de vengeance contre l’ex et une victime expiatoire. On peut lire, par exemple, dans un rapport parlementaire canadien : « Il n'est pas rare que le parent qui a la garde de l'enfant se serve de son enfant comme d'une arme dans la guerre matrimoniale, afin de saboter le droit de visite. » (10).

    3 Le nouveau conjoint ou l’amant(e) de passage n’a pas, vis à vis de l’enfant d’un(e) autre, les mêmes scrupules et les mêmes attentions (11).


    Les violences de la séparation

    La résidence monoparentale induit surtout des violences spécifiques (heureusement non systématiques) : la privation de lien affectif, l’atteinte à l’intégrité morale et l’aliénation parentale

    La privation du lien affectif

    La privation du lien affectif avec le parent absent crée une souffrance continue, voire un traumatisme qui peut affecter durablement l’équilibre et la confiance en soi de l’enfant victime.
    L’atteinte à l’identité et à l’intégrité morale
    Par ailleurs, le dénigrement du parent absent, les insultes et les violences verbales atteignent l’enfant dans son identité et sa dignité de fils ou fille. L’enfant normal et non manipulé aime sa maman et son papa. Il s’identifie comme fils ou fille de l’un et de l’autre. Le dénigrement du parent absent est une atteinte à son intégrité morale.
    L’aliénation parentale
    L'aliénation parentale est la forme aiguë et pathologique de ces deux dernières violences. Elle consiste à conditionner un enfant pour qu'il haïsse un de ses parents sans justification (12). Comme dans le syndrome de Stockholm, l’enfant victime du syndrome d’aliénation parentale (S.A.P) apporte sa propre contribution au dénigrement du parent visé. Les graves répercutions psychiatriques sur l’enfant peuvent être irréversibles. Souvent, l’aliénation parentale s’accompagne d’accusations de violence portées contre l’autre parent, accusations que l’enfant s’approprie. Le SAP est particulièrement destructeur et une guérison nécessite d’abord de couper le lien avec le parent aliénant.


    Les disfonctionnements de la justice

    La protection des enfants est d’abord le rôle des parents (13). Encore faudrait-il que le traitement judiciaire du divorce et de la séparation n’entrave pas ce devoir de protection. Or, la justice familiale conduit dans certains cas à déresponsabiliser et à exclure les parents divorcés ou séparés. Le mécanisme de cette exclusion parentale repose nottament sur quatre bases : le refus de résidence alternée, le délit de non présentation d’enfant, l’enlèvement légal et l’accusation mensongère entre parents.

    Les résidences monoparentales imposées contre l’avis des parents

    En cas de désaccord voire de conflit entre parents, le juge aux affaires familiales décide à leur place. Un grand nombre de juges impose encore contre leur gré une résidence monoparentale aux familles séparées. Or, c’est justement en cas de conflit entre adultes que la résidence monoparentale fait courir les plus grands risques à l’enfant. Comment le parent qui ne rencontre son enfant que deux week-ends par mois pourrait-il le protéger, le surveiller et l’éduquer ? Comment pourrait-il s’opposer à une maltraitance dans l’autre foyer ou même s’en apercevoir? A contrario, et contrairement à certaines idées reçues, il n’existe aucune risque spécifique connu ni aucune contre-indication médicale ou médico-psychologique prouvée à la résidence alternée. Vingt études concrètes ont été réalisées sur 30 ans et dans différents pays sur la pratique de la résidence alternée. Aucune ne met en évidence un quelconque danger ou perturbation pour l’enfant, quelque soit son âge (14).
    L’impunité des délits familiaux
    La résidence monoparentale serait déjà moins pénalisante si les droits de visite et d’hébergement étaient respectés. Le délit de non présentation d’enfant, commis par le parent «gardien» qui refuse jusqu’aux visites chez l’autre parent, est destructeur de lien familial. C’est un délit grave commis contre l’enfant et contre l’autre parent : Il est, normalement, puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. Dans les faits, les parents victimes éprouvent des difficultés à faire enregistrer leur plainte … qui est classée sans suite dans la plupart du temps. Les infractions ne sont condamnées que dans moins de 8% des cas. Et depuis 1970, le nombre d’infractions a augmenté au fur et à mesure que le taux de condamnation baissait. En 1970, les non présentations d’enfant étaient condamnées au pénal à près de 50%. (15).
    La légalité des enlèvements d’enfant
    L’enlèvement de son domicile ou la soustraction d’un enfant à son parent par l’autre parent est, dans l’immense majorité des cas, parfaitement légal. Sans même parler des enlèvements à l’étranger, un parent peut faire disparaître son enfant et lui couper tout contact avec son père ou sa mère. Certains organismes ou associations financés par l’état conseillent même l’enlèvement aux parents en conflit conjugal (réel ou prétendu) (16). Si on peut trouver légitime de rompre la cohabitation conjugale, il est beaucoup plus discutable de vouloir mêler les enfants au conflit d’adultes ou de les considérer parmi les effets personnels d’un des parents.
    La tolérance des allégations mensongères
    Lors des revendications de «garde» des enfants ou lors des procédures de divorce, les témoignages de complaisance et les accusations mensongères sont, hélas, monnaie courante. Il faut donc considérer avec prudence les dénonciations entre parents. Et il n’est pas rare que la justice se retourne contre les victimes : Certains parents «gardiens» maltraitant se protègent en lançant des accusations de violence contre l’autre parent. Souvent la police et la justice, obnubilées par ce soupçon, verrouillent l’enfant aux seules mains du gardien et écartent complètement l’autre parent qu’elles présument coupable. Il faut plusieurs années de procédures pour innocenter ce dernier. Il ne recouvre alors pas pour autant ses pleins droits. Et l’accusateur malveillant conserve le contrôle de sa victime sans être autrement inquiété.


    Des solutions pourtant simples

    Les solutions sont pourtant simples et ne coûtent rien : rétablir l’autorité et la responsabilité de tous les parents, même séparés. On améliorera grandement la sécurité des enfants du divorce en favorisant la co-parentalité et la parité père-mère (17). L’état et la justice doivent garantir le droit de chaque enfant à sa famille et permettre à ses deux parents de le protéger et de l’éduquer. Cela passe par l’application de trois idées simples : 1) ne pas imposer la résidence monoparentale, 2) favoriser l’implication des parents ne résidant pas avec leur enfant, 3) responsabiliser les parents malveillant qui s’opposent à la co-responsabilité parentale de l’autre :

    1. Ne pas imposer une résidence monoparentale à des parents qui, tous deux, veulent et peuvent élever leur enfant dans de bonnes conditions.

    2. Favoriser l’implication des parents ne résidant pas avec leur enfant : Ces parents sont rarement consultés voire même informés en cas de radiation de l’école, d’absentéisme scolaire, de problème de santé, d’hospitalisation,…Aujourd’hui, ils sont même privés du droit de vote à l’école de leur enfant.

    3. Responsabiliser les parents et sanctionner les entraves à l’exercice conjoint des responsabilités parentales (délits de non présentation d’enfant, enlèvements légaux ou illégaux, insultes et dénigrements de l’autre parent devant l’enfant, allégations mensongères, déménagement de l’enfant au loin, obstacles aux relations parent-enfant,…).

     
    références:

    (1) Ouest France 23 novembre 2001

    (2) témoignage recueilli par SOS PAPA magazine N° 44, décembre 2001. Voir aussi la lettre de Brenda CAL, 35 ans dans SOS PAPA magazine N°51 septembre 2003, p13.

    (3) exemples cités par Le Parisien du 25 octobre 2003

    (4) INSEE, INED 1994 ; INED Institut National d’Etudes Démographiques, Paris population et société, janvier 1999

    (5) Les notions de « garde » ou de « droit de garde » n’ont plus d’existence légale depuis 1987. En théorie, les deux parents ont mêmes droits et mêmes devoirs. En pratique, la résidence de l’enfant peut être fixée soit chez les deux parents séparés (résidence alternée) soit chez un seul des deux (résidence monoparentale).

    (6) Baromètre santé jeunes 97/98 page 302, CFES Comité Français d’Education pour la Santé

    (7) Dans les familles de catégorie sociale intermédiaire (employés) le taux d’accès au baccalauréat est de moitié inférieur dans les familles dissociées par rapport aux familles unies.
    ARCHAMBAUD P. thèse de doctorat Paris V 2002 ; « séparation et divorce : quelles conséquences sur la réussite scolaire des enfants ? » INED Institut national d’Etudes Démographiques, Population et Société n° 379 2002

    (8) Christiane OLIVIER, psychanalyste et auteur, écrit par exemple qu’il faut permettre « à l’enfant de trouver, dés son arrivée au monde, un référent de même sexe et un complément de sexe opposé : l’un servant de support à l’identification, l’autre assurant l’Œdipe et l’identité ».
    OLIVIER C. Les enfants de Jocaste, Denoel 1980

    (9) LE CAMUS J “pères et bébés”, éditions L’Harmattan Paris 1998 p169 ; p184 -197
    PEDERSEN F. A. et al , Infant development in father absent families; Journal of Genetic Psychology, 1979, n°135, p51-61
    LEVY SHIFF The effect of father absence on young children in mother-headed families; Child development p1400-1405 53, 1982
    LE CAMUS J, de LEONARDIS M., LESCAREETO O., Effets de la transformation des rôles parentaux sur la construction de la personnalité de l’enfant ; la psychiatrie de l’enfant, XXXII,1 p31-54, 1989
    http://residencealternee.free.fr/connaissances_scient_RA.doc

    (10) Parlement du Canada ; Rapport du comité mixte spécial sur la garde et le droit de visite des enfants décembre 1998 
    http://residencealternee.free.fr/parlement Canada.htm

    (11) Vous connaissez l’histoire de Cendrillon

    (12) GARDNER, R. Recent trends in divorce and custody litigation. 1995 Academy Forum, 29(2):3-7. The American Academy of Psychoanalysis
    GARDNER R ; Parental Alienation Syndrome (PAS): Sixteen Years Later 2001 Academy Forum 45(1):10-12. The American Academy of Psychoanalysis
    http://rgardner.com/refs/
    http://www.reseauparents.ch/SAP.html

    (13)  Code Civil, article 371-1, alinéa 2 :
    « [L’autorité parentale] appartient aux père et mère jusqu’à la majorité ou l’émancipation de l’enfant pour le protéger dans sa sécurité, sa santé et sa moralité, pour assurer son éducation et permettre son développement, dans le respect dû à sa personne. »

    (14) http://www.residence-alternee.com/cadre questions psy.htm

    (15) Source : Ministère de l’intérieur, ministère de la justice et SOS PAPA magazine N°47 septembre 2002.

    (16) Par exemple, le CIDF Centre d’Information sur les Droits des Femmes de l’Oise, dans une brochure  « Violences conjugales » conseille aux femmes : « vous pouvez quitter le domicile commun avec vos enfants, sans autorisation du juge ».

    (17) voir aussi : SOS PAPA « analyses et proposition pour la famille » janvier 2003 – SOS PAPA magazine N°48

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